Le Barrage d'Assouan
Jusqu'au siècle dernier, l'Égypte était tributaire des crues du Nil qui venaient déposer sur les berges du fleuve les sédiments nutritifs nécessaires à l'agriculture. Il arrivait que le pays doive faire face à de très fortes inondations ou, à l'inverse, une ou plusieurs crues trop faibles faisaient planer sur les habitants des risques de famine.
Ce phénomène naturel persista jusqu'en 1902, date à laquelle le premier barrage d'Assouan (es-Sadd, la digue ou el-Khazzan, le réservoir), construit par les Anglais, fut inauguré. En amont du barrage s'étendit alors un lac de 225 kilomètres de long qui noyait la Nubie près de huit mois par an, forçant les habitants à reconstruire leurs villages plus en hauteur.
Cependant, le barrage démontra à diverses occasions son incapacité à retenir les eaux du fleuve. De plus, l'augmentation galopante de la population réclamait la création d'un réservoir plus important afin de faciliter la navigation régulière sur le Nil et, surtout, afin d'assurer la production électrique et la fourniture d'eau destinée à irriguer de nouvelles terres.
Dès 1952, sous la présidence de Nasser, le gouvernement égyptien lança le projet d'un nouveau barrage, le Sadd el-Ali ou Grand Barrage, situé à 7 km en amont d'Assouan.
La construction fut financée, pour une bonne part, par l'Union Soviétique qui envoya également plus de quatre cents techniciens et ingénieurs.
Le reste du budget nécessaire à cet ouvrage pharaonique provient des bénéfices engendrés par la nationalisation du canal de Suez.
La construction, longue de 3600 mètres, d'une hauteur de 111 mètres et d'une largeur de 980 mètres à sa base pour 40 mètres à son sommet, mobilisa 30.000 travailleurs. Les travaux débutèrent en 1960, l'inauguration par Sadate et Khrouchtchev eut lieu en 1971 mais le barrage n'entra en pleine production qu'en 1975.
Dès lors, la régularisation des crues du Nil grâce au lac Nasser, réservoir pouvant retenir entre 157 et 185 milliards de mètres cubes d'eau, permit d'envisager l'irrigation de 850.000 hectares de terres désertiques.
La construction d'une puissante centrale électrique à Assouan entraîna une augmentation de plus de 50% du pouvoir électrique de la région, conférant au pays une véritable indépendance énergétique qui pouvait assurer la mutation industrielle du pays.
Et de fait, l'Égypte fut relativement préservée des dangereuses inondations de 1964 et 1973 ainsi que de la sécheresse qui sévit en Afrique en 1972-73 et en 1983-84.
Cependant, le problème de l'eau n'est pas définitivement réglé. À plus ou moins brève échéance, les réserves du lac Nasser deviendront insuffisantes. Le pays doit relever de nouveaux défis : lutter contre la pollution, essayer de réduire l'érosion, mais surtout sensibiliser sérieusement la population sur les problèmes de pénurie dont l'Égypte sera victime si elle ne prend pas de précautions.
De plus, divers problèmes résultent de la modification des conditions hydrologiques due au Grand Barrage :
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La modification du niveau des nappes phréatiques menace les fondations de certains édifices.
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Le remplissage constant des canaux d'irrigation développe auprès des fellahs la bilharziose dont un cas sur dix est mortel. Les bilharzies sont des vers parasites se développant dans les eaux stagnantes. Seul un assèchement prolongé d'au moins trois semaines peut en venir à bout.
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Dans le delta, le fleuve ne repousse plus les intrusions salines venues de la mer. Celles-ci menacent de stériliser une partie des terres cultivables, nécessitant le recours à un système de drainage et d'irrigation qui, pour l'instant, semble avoir stopper la progression de la salinisation.
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La régression de la pêche, notamment celle de la sardine, y compris en Méditerranée occidentale, est liée à la disparition du flot d'eau douce et limoneuse qui se déversait périodiquement en mer ainsi qu'à la remontée, par le Canal de Suez, d'espèces prédatrices venues de la mer Rouge.
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Le Nil coule plus vite qu'auparavant, érodant son lit à raison d'1,7 cm par an et fragilisant les constructions archéologiques édifiées le long du fleuve.
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Les apports limoneux ne venant plus compenser l'importante érosion marine le long du littoral, la Méditerranée gagne sur les terres environ 30 mètres par an, menaçant d'inonder le delta.
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Les limons autrefois répandus par les crues ne fertilisent plus les terres irriguées qui s'appauvrissent et obligent à recourir à des engrais chimiques.
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Selon les prévisions les plus pessimistes, le remplissage accéléré du réservoir de retenue par les limons comblera le grand barrage dans moins d'un siècle.
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De plus, le barrage constitue une menace en cas de guerre ou d'acte terroriste : s'il était détruit ou endommagé, un véritable raz-de-marée submergerait l'Égypte entière.
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Enfin, l'engloutissement d'une province entière, la Nubie, entraîna le déracinement d'environ 100.000 habitants.
Sans l'intervention de l'Unesco, les trésors de Nubie, vingt-quatre temples et chapelles pharaoniques et gréco-romains auraient été définitivement engloutis.